Se réapproprier ses moyens de subsistance - Milly-la-Forêt, avril 2022
Conférence de Geneviève Pruvost, 16 avril 2022, Milly-la-Forêt
Les deux Amap [1] de Milly-la-Forêt : « Ah ma Papille » et « La Belle et la Blette », et le comité local Attac Sud-Essonne ont organisé le 16 avril à Milly-la-Forêt une conférence sur le thème : « Se réapproprier ses moyens de subsistance ».
La conférencière était Geneviève Pruvost, sociologue, médaille de bronze du CNRS, chargée de recherche et d’enseignement au sein de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Devant plusieurs dizaines de participants, Geneviève Pruvost a présenté une autre version de l’histoire du progrès à partir de la dépossession, la privatisation et la délocalisation de tous nos moyens de subsistance. Face à cette perte d’autonomie, il existe des alternatives qu’elle a étudié pendant plusieurs années à travers la France.
Basée sur ses travaux de recherches sur les modes de vie alternatifs et d’après son ouvrage sur l’éco-féminisme [2], sa prestation nous a rappelé l’organisation des sociétés depuis le haut moyen-âge avec les « maisonnées » qui rassemblaient dans un même espace tous les savoir-faire nécessaires à assurer la vie quotidienne de chacun, chaque membre de ces maisonnées ayant un rôle à assumer (agriculteur, éleveur, charretier, ébéniste, charpentier, sabotier…). La révolution industrielle qui réclamait beaucoup de main d’œuvre a entraîné un exode rural et a profondément modifié le quotidien de chacun. Les petites communautés autonomes ont disparu au profit de la « cellule familiale » (plusieurs générations de parents habitant ensemble ou à proximité). Les femmes qui participaient activement et pleinement à la production des moyens de subsistance ont vu peu à peu leur rôle se limiter essentiellement à la tenue de la maison et à l’éducation des enfants (XIXe siècle).
Par ailleurs, avec le développement des moyens de transport et de communication, les artisans et commerçants qui se fournissaient en matière première et vendaient leurs productions dans un périmètre restreint -le territoire- ont vu leurs espaces d’approvisionnement en matière première et de vente de leurs productions s’élargir. Cette situation s’est particulièrement et essentiellement développée avec le colonialisme (fin XIXe / mi-XXe siècle).
A partir des années 1960, l’agriculture s’est industrialisée et les marchés se sont ouverts au-delà des frontières. L’ensemble des produits de subsistance ont suivi la même évolution. Les femmes ont été peu à peu amenées à travailler en dehors de chez elles grâce à la consommation de biens appelés à faciliter les tâches ménagères et à leur libérer du temps. La cellule familiale s’est concentrée en une « cellule nucléaire » (parents / enfants) où la satisfaction des moyens de subsistance a été déléguée totalement à des ressources extérieures.
Cette dépossession du quotidien s’est accentuée ces dernières décennies où le périmètre de production et de consommation est devenu mondial et où chacun ignore qui a fait pousser et comment a poussé la salade qu’il déguste à table, comment et qui a fabriqué la table sur laquelle il mange, d’où vient le bois de sa table, où a poussé le coton de ses habits et qui a les a fabriqué…
Cette évolution a totalement et profondément transformé toutes les sociétés, uniformisant et anonymisant le quotidien de chacun, transformant les personnes en consommateurs éloignés des lieux et des personnes produisant les biens du quotidien.
Face à cette perte d’autonomie, il a existé des mouvements de retours à la terre dans les années 1970 où des individus ont essayé de reproduire des mises en commun des savoir-faire et des connaissances. Ces mouvements ont évolué, perduré ou pas selon les modes de fonctionnement adoptés.
Avec l’épidémie de Covid, il y a eu récemment une prise de conscience du manque d’autonomie alimentaire notamment et des risques de pénurie d’aliments, de matières premières ou d’énergies lors de crises. La guerre en Ukraine démontre actuellement les conséquences d’une telle dépendance pour une production située loin du lieu du besoin (exemple : huile de tournesol ; gaz…). Le phénomène de « néo-ruralité » a explosé durant cette crise, traduisant un besoin de se rapprocher de la nature, des lieux de production de la nourriture. Mais s’installer à la campagne pour télé-travailler n’est pas la solution pour retrouver la maîtrise de sa subsistance.
Les alternatives de vie étudiées par Geneviève Pruvost : communautés de vie, villages reconstruits, ZAD, éco-logis, vie en autarcie, montrent une large variété de recherches de solutions possibles. La réussite des projets reste cependant liée à une forte motivation, une indispensable mise en commun d’objectifs et de comportements. La difficulté principale est aussi la disponibilité des terres agricoles. Mais ces zones de vie « autres », bien que multiples et réparties sur tout le territoire national, restent assez minoritaires. Le système des Amap prouve cependant qu’il est possible de « se réapproprier ses moyens de subsistance » en créant un lien direct entre les consommateurs et les producteurs dans un périmètre local.
Conférence et débat enregistrés ici :